Tribune de femme

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Bobo-Dioulasso sous couvre-feu : Tension de trésorerie chez les travailleuses du sexe

Le couvre-feu qui a été instauré sur toute l’étendue du territoire burkinabè entre le 30 octobre et le 24 novembre 2014 a été particulièrement contraignant pour les travailleuses du sexe dont le business ne prospère que la nuit. Les conséquences de cette interdiction de circuler entre 00 heure et 05 heures du matin ont été des plus fâcheuses pour les dizaines de prostituées qui, en plein cœur de Bobo Dioulasso, s’en mettaient plein les proches, jusqu’au bout de la nuit. Nous en avons fait le constat dans la nuit du samedi 22 au dimanche 23 novembre 2014, en nous infiltrant dans l’univers du trottoir, quelques heures avant l’entrée en vigueur du contre-feu. Reportage.

 

Samedi 22 novembre 2014. Il est exactement 21h47 au centre-ville de Bobo Dioulasso. Sous l’un des grands flamboyants qui jouxtent une avenue en face de l’ex-Entente bar, 4 jeunes filles sont à l’assaut du marché du sexe. Parmi elles Salma, la trentaine environ, habillée d’une camisole et d’un pagne nouée à la hanche. Elle prend patience dans la pénombre. Quelques instants plus tard, deux hommes à moto, passent et repassent devant les filles. Ils sont en prospection, question de détecter les « meilleures graines ».

A leur passage, ils sont hélés par les racoleuses avides de clients : « Chéri, je vais bien m’occuper de toi. Choco, je te tiens compagnie ? », etc. lance Salma avec insistance et d’un air joyeux. Comme pour répondre à l’invitation, l’un des deux hommes ralentit et la jeune fille quitte l’arbre pour se retrouver sur la chaussée à la hauteur de son potentiel client.

Le « couple » engage des discussions, sans doute sur le prix à payer. Mais moins de 5 minutes plus tard, le jeune homme démarre sa moto et disparaît dans le noir, laissant Salma sur son trottoir. « Il est vrai que les clients sont rares à cause du couvre-feu, mais je ne peux pas me livrer pour une telle somme d’argent » fait-elle entendre à ses « collègues » d’un air dépité. «  C’est très dérisoire ce qu’il me propose », insiste-t-elle avec des injures à l’adresse du client qui était déjà allé voir ailleurs. Le marché n’a pas été concluant. Comme pour la consoler, nous nous approchons discrètement de Salma pour l’interroger sur le montant proposé par l’homme à la moto : « Il me propose 2000 F CFA desquels je dois déduire le prix de la chambre qui vaut mille francs CFA », répond-t-elle aussitôt, multipliant de nouveau les injures, comme si elle venait d’être profondément touchée dans son amour propre.

Il est 22h 32. A quelques mètres de là, près du maquis « Le Bambou », nous rencontrons Rita, une jeune dame bien élancée et bien bâtie. Elle semble être étrangère de Bobo Dioulasso. « Moi, jolie fille choco comme ça, et puis je manque de clients. Eh couvre-feu !!! », déclare-t-elle avec un brin d’humour, comme pour distraire et briser l’amertume de ses « collègues de service », désenchantées et inquiètes par la rareté de la clientèle. Et comme elle était la plus loquace du groupe, nous tentons d’entamer une conversation avec elle.

A peine nous a-t-il dit qu’elle était native de la capitale Ouagadougou, qu’un cri d’alerte interrompt notre causerie :« Eh les filles, ne restez pas là ! Les militaires-là sont déjà sortis et ils frappent les gens. Ils viennent de me chicoter et j’ai dû me débarrasser de mes chaussures pour fuir », prévient une prostituée encore sous le choc. Sans demander ses restes, et au pas de course, elle disparaît dans le noir. Nous avons juste eu le temps de constater qu’elle marchait effectivement les pieds nus. « Comment peuvent-ils frapper les gens alors qu’il n’est pas encore minuit !? » s’indigne Rita qui, avec entêtement, demande aux autres filles de ne pas bouger de leur place. « On n’a rien fait de mal et les militaires-là n’ont pas le droit de nous frapper alors qu’il n’est pas encore minuit. La loi, c’est la loi ! Restez-là, les filles », rassure-t-elle.

Mais l’opiniâtreté de Rita n’aura été que de courte durée. Car, une vingtaine de minutes plus tard, une autre prostituée, apparemment bien connue de toutes, fait son apparition, appelle certaines filles par leurs prénoms et les invite à rentrer chez elles car les « soldats-là sont très méchants ». Elle n’en dira pas plus. Elle se contente simplement de montrer aux autres les écorchures qu’elle venait d’avoir sur le bras après avoir été cravachée par les forces de l’ordre. Mais sur notre insistance, elle finit par exposer le mode opératoire des soldats : « Ils sont à moto deux à deux. S’ils vous soupçonnent de faire le trottoir, ils viennent vers vous exactement comme s’ils étaient de potentiels clients. Et dès qu’ils s’approchent de vous, celui qui est à l’arrière de la moto se sert d’un fouet pour vous frapper », explique-t-elle sur fond d’injures. Et avant de monter à bord du taxi qu’elle venait d’arrêter, elle a le temps d’insister sur les conseils : « Les filles, ce n’est pas forcé. Ne restez pas là. Car non seulement vous n’aurez pas de clients, mais vous risquez de vous faire cravacher en plus. Nous avons tous des domiciles. Rentrons donc ! De toutes façons, qu’ils le veulent ou pas, ils finiront par lever le couvre-feu et les choses iront mieux pour nous ».

« Un seul client m’a donné 20 000 F CFA »

A moins d’une demi-heure avant minuit, heure d’entrée en vigueur du couvre-feu, nous avons rencontré Lisa cherchant à regagner son domicile. Elle nous confie avoir changé de stratégie depuis l’avènement du couvre-feu : « Plutôt que de sortir à 21 heures ou 23 heures comme d’habitude, je sors désormais plus tôt, souvent même avant 20 heure », explique-t-elle. « Cela, parce que même les clients ont changé d’habitude. Si je sors tôt, j’ai la chance d’voir les premiers clients », poursuit-elle.

Et sans que nous ne lui demandions, Lisa nous parle de sa comptabilité du jour : « Aujourd’hui, je n’ai eu qu’un seul client depuis 20 heures, mais c’est mon jour de chance. Car le gars m’a demandé de le rejoindre dans un grand hôtel du centre-ville et il m’a donné 20 000 F pour une passe que j’aurais acceptée à 3000 F CFA », explique-t-elle visiblement satisfaite de sa journée de travail. Mais cela ne l’empêche pas d’évoquer le côté pernicieux du couvre-feu sur le marché du sexe. « En temps normal, je gagnais en moyenne 25 000 F CFA par nuit. Mais depuis qu’il y a le couvre-feu, mon gain a chuté jusqu’à 10 000 F CFA en moyenne par nuit. J’en étais désespérée et heureusement qu’aujourd’hui, j’ai gagné le jackpot. Je file donc chez moi avant que les flics-là ne sortent », nous confie-t-elle.

A quelques 20 minutes avant minuit, les grands maquis du centre ville de Bobo Dioulasso se taisent. Plus de client, plus de musique. Le show fait place à un silence de cimetière. Les servants rangent les dernières chaises. Les rues sont complètement vides. Bobo Dioulasso se vide de son monde. Fortunes diverse pour les travailleuses de sexe dont certaines rentrent bredouille avec zéro client. A l’image de cette fille à qui nous avons porté secours avec un billet de 500 F CFA, de quoi prendre le dernier taxi pour rejoindre Sarfalao, son quartier de résidence. « Je n’ai rien eu, même pas un seul client ! Je n’ai même pas mangé ce soir, nous avait-elle confié ».

Une semaine après la levée du couvre-feu. « Bobo by night » retrouve son ambiance ordinaire. Jusqu’au petit matin.

Bassératou KINDO



22/12/2014
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