Tabagisme au Burkina : Quand le mégot se teint au rouge à lèvre
De plus en plus, les femmes au Burkina Faso fument. Féminisant ainsi la consommation du tabac. Pourquoi fument-elles ? Quelles peuvent être les conséquences pour ces « fumeuses ». Quel est le regard de la société sur elles ? Et qu’en pensent surtout les hommes ? Eléments de réponse ….
Mardi 27 mai 2013. Il est 19 heures 27 minutes dans un quartier à Bobo-Dioulasso. Priska nous accueille au bord du goudron et nous conduit chez elle en famille. Dans une cour commune ou vivent trois familles. Au salon, sa mère et ses deux frères assis devant la télévision, suivent attentivement une émission sur une chaine étrangère. Juste à côté de la table est déposé le cendrier de Priska contenant quelques mégots de cigarettes. Dans sa chambre où nous sommes rentrées pour notre entretien, elle allume d’abord une cigarette, tire quelques bouffées avant de dire : « je voudrais bien m’entretenir avec vous mais à une seule condition ». « Laquelle ? », avons-nous demandé. « Je ne voudrais pas que mon nom figure dans votre article, encore moins ma photo. Je sais que lorsqu’une fille fume, on a tendance à lui coller toutes les images négatives. Je suis jeune et je suis à la recherche d’un mari. Je ne voudrais donc pas diminuer mes chances par le fait de cet article », a-t-elle mis en garde avant tout enregistrement. Agée de 24 ans, Priska confie avoir commencé à fumer la cigarette à 16 ans alors qu’elle était en classe de 3e. Pourquoi ? Aucune réponse raisonnable. Elle fume parce que cela lui plaît. Seulement ? Et cela dure huit ans maintenant. Avec un niveau CAP, Priska mène des activités contractuelles avec des sociétés de téléphonie mobile et autres. Elle ne sait véritablement pas ce qui la motive à fumer. Pour les conséquences au plan sanitaire, à part des maux de poitrine, elle avoue ne rien sentir pour le moment comme mal lié à la cigarette. Par jour, elle peut fumer un paquet de cigarettes. Priska fume au vu et au su de ses parents. « Il arrive même, dit-elle, que sa mère lui achète de la cigarette lorsqu’elle en a besoin ». Cela, dit-elle : « le jour où ma mère m’a surprise en train de fumer, elle n’en a pas fait un problème. Elle m’a tout simplement dit de ne pas en abuser. Elle savait que même si elle m’interdisait de le faire, j’allais continuer. Vu qu’on ne peut pas contrôler de près un enfant, encore moins une fille ».
Une fumeuse n’est pas une fille de joie
Priska contredit l’idée selon laquelle une fille qui fume est sans conteste une fille de joie. « Loin de là », soutient-elle. Il y a des gens qui adorent et respectent les filles ou femmes qui fument. « Ce ne sont donc que des préjugés », à l’en croire. « Il est vrai, a-t-elle poursuivi, que la culture africaine et particulièrement burkinabè accepte difficilement ou même pas du tout, les femmes qui fument », mais elle pense que l’on doit se conformer à l’évolution des mœurs. Sur son lieu de travail, outre son patron, personne d’autre ne sait que Priska fume. En fait, elle le cache au mieux. « Lorsque je vois quelqu’un en est train de fumer, l’envie me vient. Mais je ne peux pas en demander. Il m’arrive alors de partir loin pour satisfaire mon désir avant de revenir au service », fait-elle savoir. Il en est de même pour Adjara, comptable dans un service public à Bobo-Dioulasso. Mariée depuis 13 ans (elle fume depuis 1999), elle n’a pas encore d’enfant. Agée de 38 ans, Adjara fume depuis la classe de terminale. « Ce n’était pas pour étudier », dit-elle. Unique fille de sa famille, elle informe que tous ses frères fumaient. Quoi de plus influençant pour elle qui est malheureusement tombée dans un tel monde. Pourquoi n’a-t-elle pas d’enfant ? Cela est-il lié au fait qu’elle fume ? Adjara réplique par la négative. D’ailleurs, dit-elle : « Mon mari ne sait pas que je fume. Il peut s’en douter, mais je ne fume jamais à la maison. J’attends toujours d’être loin de la maison, soit en boite de nuit ou dans un autre endroit où les gens vont l’accepter ». Tout comme Priska, Adjara reconnaît que les fumeuses n’ont pas bonne presse dans la société africaine.
Le regard accusateur de la société
« Je ne fume pas lors d’un djanjoba, encore moins au marché. Je le fais soit en boite de nuit, ou encore lors d’une soirée festive… pour éviter le regard critique de la société », révèle Adjara. Consciente des conséquences sanitaires que peut causer le tabac, Adjara tente de réduire sa consommation. C’est pourquoi, elle déconseille d’ailleurs toute personne qui serait tentée par la cigarette. Aussi, consciente du regard accusateur de la société sur les filles ou femmes qui fument, Adjara se cache pour fumer. « Je sais que beaucoup de femmes de nos jours fument du tabac, mais elles n’osent pas le faire ouvertement au risque d’être traitées de tous les noms d’oiseaux », souligne-t-elle.
Une virée en boîte de nuit dans la ville de Sya et sur la place de quelques marchés du sexe, le vendredi 31 mai 2013, on se rend compte que les filles n’ont cure de ce que pensent les uns et les autres des fumeuses. « Je fume pour attirer la clientèle. Généralement, dans une boîte de nuit, lorsqu’une fille fume, cela reflète sa personnalité. Il faut donc se distinguer des autres filles », lance Leslie sans vergogne. Moussa Sanou journaliste à Bobo-Dioulasso condamne la cigarette, encore plus les femmes qui fument. « Je ne suis pas pour les filles ou femmes qui fument vu les conséquences que cela peut avoir sur la santé humaine. D’ailleurs, les conséquences sont doubles chez elles. Encore plus pour son enfant », a-t-il dit. Pourtant, Zantigui Coulibaly chauffeur ne trouve pas un problème en ce que les filles ou femmes fument. « J’adore d’ailleurs les filles qui fument », dit-il sans se sourciller. Des responsables religieux et coutumiers que nous avons rencontrés, condamnent tous naturellement ce phénomène qui, si l’on n’y prend garde est véritablement en train de prendre des proportions inquiétantes.
De plus en plus de consommatrices et quelles conséquences !
" Il n’y a pas d’égalité entre l’homme et la femme devant le tabac », a fait savoir Dr Emile Birba. Bien que le tabagisme soit essentiellement masculin, la consommation féminine est en train de prendre un pas. Le taux de prévalence qui était de 0,5% est aujourd’hui de 2% chez les jeunes filles de 25 à 36 ans. « Heureusement, a-t-il ajouté, le tabagisme féminin n’est pas une consommation régulière et intense ». Pourtant, les effets sont proportionnels à l’intensité du tabagisme. Au titre donc des conséquences que la femme fumeuse peut encourir, il y a les accouchements prématurés, les accouchements multiples, les saignements au cours de l’accouchement, les problèmes cardiaques… et pire les décès subits. La différence n’est pas seulement sexuelle. Elle est aussi individuelle. Aussi ajoute le spécialiste, « les femmes aiment soigner leur apparence, mais on n’a jamais vu un fumeur beau. Le teint est ciré, les lèvres sont noires. Et une fumeuse n’est pas une belle femme ». Docteur Emile Birba soutient comme bon nombre de personnes que les gens fument en croyant pouvoir résoudre un problème social, économique…, car la cigarette contient un bon antidépresseur. « Elle reste alors le dernier recours pour ces gens », fait-il savoir. Et pourtant, elle crée plus de problèmes qu’elle n’apporte des solutions.
Bassératou KINDO
Les filles et femmes plus consommatrices… les enfants aussi
A entendre Docteur Emile qui reçoit en consultation au moins 10 patientes par an, ce sont les jeunes filles et femmes qui restent souvent impuissantes face à un problème qui fument le plus. Celles qui ont des enfants les exposent sans doute davantage à la fumée. Consommateurs passifs donc, les enfants apprennent petit-à-petit à fumer eux aussi mais de façon passive. Ils ne sont pas ainsi épargnés des problèmes respiratoires à savoir les bronchites, les pneumonies….Pour celles qui n’ont pas encore d’enfant, le tabagisme peut entrainer l’infertilité.
Sept filles sur dix fument
Selon l’avis du spécialise, sept filles sur dix fument dans les boîtes de nuit. Le constat qui se fait corrobore justement ces chiffres. En effet, de façon générale dans ces endroits, il n’est pas rare de voir des jeunes filles fumer. Laetitia, une étudiante soutient qu’elle ne fume que dans les boites de nuit, car c’est l’endroit le mieux indiqué pour elle.
Des contraventions
Est puni d’une amende de dix mille (10 000FCFA) à quinze mille (15 000 FCFA) quiconque fume dans un lieu public clos ou ouvert qui accueille du public ou qui constitue un lieu de travail. Est aussi puni d’une amende de cinq mille (5 000 FCFA) à dix mille (10 000 FCFA) quiconque fume dans un espace public clos ou ouvert, dans des établissements d’enseignement publics et privés, des universités, ainsi que des établissements destinés à l’accueil, à la formation, à l’hébergement ou à la pratique sportive des mineurs.
Bassératou KINDO
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