Tribune de femme

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Radiation de femmes gendarmes

Pourquoi le ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants, Blaise Compaoré, s’est-il comporté de la sorte ? C’est la question que l’on se pose tout de suite, en découvrant cette troublante affaire. D’aucuns se demandent même si c’est vraiment lui qui a fait ça. Tant les faits sont invraisemblables et indignes du ministre de la Défense, de surcroît président du Faso, chef suprême des armées et garant du respect de la Constitution qu’il est. De quoi s’agit-il exactement ? Courant 2012, il a décidé de mettre fin à la carrière professionnelle de deux jeunes femmes gendarmes, en les radiant des rangs de la Gendarmerie nationale, par arrêtés ministériels. Cependant, les arrêtés de radiation posent problème à bien des égards. Leur légalité est sujette à caution. L’affaire a atterri sur le bureau du juge administratif. Celui-ci a fait droit à la cause des plaignantes, en ordonnant le sursis à l’exécution desdits arrêtés. Mais, près d’un an après, les intéressées ne sont toujours pas rétablies dans leurs droits. Au grand mépris de la Justice.

 

AD est toujours sous le choc. Elle n’en revient pas. Des valeurs de loyauté, de dignité, d’équité et de justice que la gendarmerie lui a inculquées depuis les bancs de l’école, elle en est aujourd’hui à se demander ce que sa hiérarchie en fait. Recrutée dans les rangs de la Gendarmerie nationale lors de la session de recrutement de l’année 2008, elle s’est toujours engagée à servir l’Etat avec détermination et loyauté. Elle n’a jamais contrevenu aux règles auxquelles elle a souscrit en vertu de son engagement. En tout cas, elle n’avait jamais eu connaissance d’un quelconque reproche de la part de la hiérarchie dans ce sens. Dans un tel état d’esprit, grande a été sa surprise lorsque, courant mars 2012, elle se voit notifier un arrêté portant sa radiation des rangs de la Gendarmerie nationale.

L’arrêté est signé par un certain Assimi Kouanda, directeur de cabinet ( ?). Pendant qu’elle cherche à comprendre ce qui lui arrive et la conduite à tenir, elle reçoit un 2e arrêté. Signé de Blaise Compaoré, ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants, ce 2e arrêté abroge le précédent mais maintient sa radiation. AD n’est pas la seule dans une telle situation. Quelques mois auparavant, une autre gendarme avait connu le même sort. PA, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, avait reçu, courant janvier 2012, un arrêté de radiation signé du même Assimi Kouanda.

Qu’a-t-elle fait pour mériter une sanction aussi lourde ? Elle non plus ne se souvient pas avoir été l’objet d’un quelconque avertissement ni blâme auparavant. Le laconique document en trois articles est pratiquement muet à ce sujet. Aucun motif précis n’est avancé pour soutenir cette décision de radiation. Tant du point de vue de la forme que du fond, le document pose problème. Une certaine jurisprudence voudrait que les décisions administratives à caractère de sanction disciplinaire soient clairement et suffisamment motivées et qu’il ressorte de leurs termes l’expression des motifs de fait et de droit pour lesquels la sanction est infligée. En l’espèce, il n’est fait l’exposé d’aucun fait, encore moins d’une quelconque règle de droit qui serait le fondement du reproche fait à l’intéressée. Juste une formule jugée extrêmement vague et erronée de « non-respect des règles de discipline » est évoquée dans les deux cas. Naturellement, celle-ci apparaît totalement impuissante pour remplir cette exigence de motivation suffisante et claire imposée à l’administration. Mais il n’y a pas que ça.

Qui est cet Assimi Kouanda ?

assamiDe quel droit Assimi Kouanda s’est-il permis de signer des documents du ministre de la Défense?S’agissant de « non-respect des règles de discipline », s’il est vrai que l’autorité compétente pour prononcer une telle sanction disciplinaire est le ministre chargé des armées, il est aussi vrai que ce dernier est tenu, même sans avoir à recourir à un conseil de discipline, de communiquer au préalable au militaire concerné son dossier , afin qu’il puisse pourvoir à sa défense. Cela n’a pas été fait. Agissant ainsi, le ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants a allègrement pris des libertés avec ce principe fondamental du respect des droits de la défense. Toute chose qui porte gravement préjudice aux droits des intéressées. Et ce n’est pas tout. Qui est cet Assimi Kouanda, à la main aussi lourde qui signe autant d’arrêtés, distribuant à la volée des radiations à des éléments de l’Armée nationale? En a-t-il la compétence ? Face à une situation aussi confuse, PA décide de faire valoir ses droits en Justice, à travers une requête de sursis à exécution. Dans un jugement rendu courant février 2012, le T ribunal administratif a fait droit à la requête de PA et ordonné le sursis à l’exécution de l’arrêté incriminé. Cette décision se fonde notamment sur le défaut de motivation, la violation des droits de la défense, l’incompétence de l’auteur de l’acte, en ce qu’il a été édicté par le directeur de cabinet de la Présidence du Faso (tel est le poste de Assimi Kouanda).

Cela, en flagrante violation de l’article 54 de la loi 037-2008/AN du 29 mai 2008 portant statut général des personnels des forces armées nationales. Même si le président du Faso et le ministre en charge de la Défense renvoient à la même personne, le directeur de cabinet du président du Faso n’est aucunement le directeur de cabinet du ministre de la Défense. De surcroît, ce dernier ne pourrait signer un tel document puisqu’il n’en a pas la prérogative. Avec cette issue judiciaire, PA croyait s’être tirée d’affaire. Mais c’était méconnaître son vis-à-vis. Pendant que le recours en annulation de l’arrêté est toujours pendant et que l’Etat a interjeté appel contre le jugement ordonnant le sursis à exécution, un nouvel arrêté de radiation lui est notifié. Celui-ci est signé de Blaise Compaoré, ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants himself.

Ce 2e arrêté et celui notifié à AD en 2e lieu se suivent immédiatement dans l’ordre chronologique de signature par Blaise Compaoré. Tout porte à croire que suite à la décision de Justice rendue en faveur de P A et concluant à l’incompétence du signataire, l’on a cru pouvoir régulariser la situation en faisant signer 2 nouveaux arrêtés pour les 2 cas par le signataire légal. Que nenni ! Ces nouveaux arrêtés, bien que signés du grand sachem, n’ont pu résister à la perspicacité du juge et à la rigueur du droit. Le sursis à leur exécution a été ordonné par le juge.

Excès de pouvoir, discrimination, droit de cuissage…

Les deux jeunes dames ont en commun d’avoir contracté des grossesses juste avant de se voir notifier ces arrêtés de radiation. Elles imaginent que cet état de fait serait le motif de ces sanctions. L ’alinéa premier de l’article 89 du décret portant règlement de discipline générale dans les forces armées nationales disposant que « les militaires du rang de sexe féminin qui contractent une grossesse avant le délai de six (06) ans sont d’office radiées des contrôles des forces armées nationales ». Mais une telle perspective ne saurait prospérer car cela procèderait d’une lecture étriquée et parcellaire de la loi.

fem gendPas facile d’être femme et gendarme !Puisque le même article dispose plus loin que « pour les sous -officiers féminins dont le recrutement procède d’un concours direct d’élèves sous-officiers, le délai est de trois (03) ans ». Dans les deux cas d’espèce, les intéressées sont des sous-officiers recrutées par concours directs et ont contracté leurs grossesses plus de trois ans après leur recrutement. A ce titre, elles attendent toujours qu’on leur prouve en quoi elles auraient contrevenu à ladite loi. D’ailleurs, même si par extraordinaire on parvenait à leur démontrer qu’elles avaient contrevenu à cette disposition, une loi internationale à valeur supra-légale, à laquelle a souscrit le Burkina Faso est là pour les protéger. Il s’agit de la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, adoptée en 1979, entrée en vigueur en 1981 et ratifiée par le Burkina Faso le 14 octobre 1987. Celle-ci dispose en son article 11-2 ceci : « Afin de prévenir la discrimination à l’égard des femmes en raison de leur mariage ou de leur maternité et de garantir leur droit effectif au travail, les Etats parties s’engagent à prendre des mesures appropriées ayant pour objet : a) d’interdire, sous peine de sanction, le licenciement pour cause de grossesse ou de congé de maternité et la discrimination tels que les licenciements fondés sur le statut matrimonial; … ». Autant d’arguments qui ont milité en faveur des requérantes.

Malheureusement, les décisions du juge ne seront pas exécutées. Depuis plus d’une année, les intéressées n’ont toujours pas pu rentrer dans leurs droits. Les portes de la gendarmerie leur restent désespérément fermées, malgré les décisions de Justice en leur faveur. Privées de leurs salaires depuis tout ce temps, elles et leurs nouveau-nés sont à la merci de toutes sortes de difficultés. Ce qui révolte le plus dans cette affaire, à en croire certaines indiscrétions, ces deux jeunes dames ne sont pas les seules à avoir contracté des grossesses dans les mêmes conditions à la gendarmerie. Certaines autres de leurs sœurs d’armes l’ont aussi été. Mais curieusement, ces dernières n’ont jamais été inquiétées. On ne comprend pas pourquoi ce traitement discriminatoire frisant l’acharnement contre elles. Certains bruits de coulisses font état de ce que ces deux-là subissent ainsi le courroux de certains de leurs supérieurs hiérarchiques dont elles auraient refusé les avances. Mais jusqu’à quan durera cette injustice au sein d’une institution censée faire régner la justice dans la cité? Affaire à suivre…

Source: http://www.reporterbf.net



25/06/2013
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