Tribune de femme

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EDUQUER UNE FILLE AU BURKINA, C’EST LUI CRÉER TROP DE PROBLÈMES.

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J’ai remarqué depuis longtemps qu’il y a beaucoup de problèmes chez nous  au Burkina Faso autour des femmes éduquées. Elles sont une espèce rare, et pour peu qu’elles essaient de sortir de lot, elles heurtent à beaucoup de barrières et de jugement. On me dira que les choses ont changé, qu’en zone urbaine ce n’est plus comme ça, mais moi je dis « Ya Ziri » (c’est faux).  Quelques exemples choisis pêle-mêle dans mes expériences pour détailler la chose.

En 2011 (quand je travaillais encore bien à l’école) j’ai eu l’énorme chance d’être dans la liste de 100 gagnants au concours de l’excellence du Burkina Faso. Nous étions deux élèves de mon école dans le top 100 (Big up a Madame Guiguemdé), toutes les deux des filles. Quelle ne fut ma surprise donc, quand nous sommes arrivées au lieu d’hébergement pour le weekend de récompense, de remarquer que sur 100 excellents élèves burkinabè, il n’avait que 4 filles.  4 filles dans le pays sur 100 meilleurs élevés. C’était en 2001.

Les choses n’ont pas beaucoup changés aujourd’hui. Il n’y pas beaucoup de femmes dans les positions de leadership ou dans les élites académiques. Ceci peut s’expliquer par le fait que les filles ne sont pas inscrites à l’école bien sûr. Mais je pense qu’il y a aussi un autre problème : en tant que société, nous n’accordons pas assez de respect aux filles qui se font remarquer positivement. Je ne parle pas des prix ou des bourses, ou même des nominations ou des salaires. Je parle des attitudes culturelles.

Il y a quelques années je travaillais dans une organisation au Burkina Faso. Une fois au bureau, un de mes collègues se met à parler des jeunes filles de maintenant qui ne savent pas s’occuper d’un homme. Pour preuve, il parle de cette fille qui a fait de grandes études en Europe, et est rentrée avec de gros diplômes et a eu un très bon boulot qui payait bien.  Le lendemain de son mariage, sa belle-famille a réclamée du tô et notre jeune fille était incapable d’en faire. D’après mon collègue, ce fut une honte pour la famille de la jeune mariée. Et celui-ci de renchérir qu’une femme comme ça, « ce n’est pas la peine ».

Je vous laisse digérer l’histoire, mais vous ferai remarquer que cette fille qui a étudié sans tomber dans les pièges de la jeunesse et qui a un bon salaire, s’occupe de sa famille et est surement enviée par beaucoup de personnes  a amené la honte sur sa famille parce qu’elle ne sait pas tourner de la farine dans de l’eau chaude. Une fille idiote, non-instruite, sans emploi, mais qui sait faire le tô est donc plus honorable que celle-ci. Dans une société traditionnelle où savoir  préparer du tô est une connaissance indispensable cela peut se comprendre. Mais dites-moi, en ville avec tout ce qu’il y a de disponible comme nourriture ou personnes qui peuvent préparer cette nourriture, est-ce vraiment juste de ne juger nos filles que sur cette base ?

Un autre exemple. Beaucoup d’hommes qui me côtoient et qui savent que j’ai le nez tout le temps fourré dans les livres, et la bouche tout le temps entrain de contester tout et rien ; beaucoup d’hommes donc, trouvent nécessaire de me poser cette question : « Sais-tu faire la cuisine » ou encore «  Est-ce que tu sais faire le to même » ?  Mis à part le fait que ce genre de questions sous-entend beaucoup de préjugés sur moi et le genre de personnalité que je projette ; il démontre aussi que ces gens veulent mettre une valeur sur le genre d’épouse que je pourrais être un jour ; comme si je leur avais dit que je suis sur le marché pour ce genre d’homme. On ne me demande pas : « est ce que tu aimes tes études ? », ou bien « quelles sont tes ambitions ? » ou même encore « quels sont tes objectifs dans la vie ? »  Non. Ma seule valeur, c’est de pouvoir un jour m’occuper d’un homme.

Il n’y a pas longtemps après mes études aux Etats Unis, j’ai rendu visite à un tonton. Je lui ai annoncé toute heureuse que j’avais une nouvelle bourse pour étudier en Europe. Je m’attendais à des félicitations, J’ai eu droit à un « Il ne faut pas faire les études trop longtemps ma fille, tu deviens vielle, il faut penser à me faire des petits enfants ». J’avais 21 ans.

Quand je me plains de ces choses, beaucoup d’amis (filles comme garçons) trouvent nécessaire de me dire que je me trompe, que ce n’est plus comme ça en 2014, et que les femmes ont leurs places dans la société tout comme les hommes. Je leur réponds d’ouvrir les yeux. Au Burkina Faso, une femme intelligente et utile à sa société n’est respectée que si elle est aussi mariée et mère de plusieurs enfants.  Il suffit de lire les biographies de femmes battantes que lefaso.net publie. Lisez les commentaires et voyez la différence d’attitudes envers les femmes mariées et celles qui ne le sont pas. Il y en a même qui poussent le bouchon jusqu’à féliciter le mari pour les succès de la femme.

Combien de ministres femmes avons-nous ? Regardez chez vous à la maison. Pourquoi garder les filles si longtemps le weekend à la cuisine ? Pourquoi ne pas partager le boulot avec leurs frères pour qu’elles aussi puissent regarder la télé, ou jouer au ballon ? Pourquoi jugeons-nous toujours les femmes divorcées ? Pourquoi les traiter de femmes légères quand nous savons combien de femmes sont battues au Burkina par leurs maris irresponsables ? Pourquoi mettre autant de pression sur nos filles pour qu’elles se marient a tout prix ? On demande à nos filles de se marier à n’importe qui juste parce qu’on estime qu’être femme sans mari c’est une honte pour la famille.  On leur demande de ne pas trop pousser les études avant le mariage parce que les hommes ont peur des femmes « qui connaissent papier ». Par exemple, pourquoi est-ce que les hommes de 40 ans qui ont passé leur vie à faire des études et construire leur vie professionnelle refusent de sortir avec les femmes qui ont pris les mêmes décisions qu’eux, préférant les petites filles de 20 ans qui ont le Bac C (Coiffure, cuisine, couture) ?

Le Burkina Faso n’est pas une société ouverte aux femmes qui veulent poursuivre les mêmes rêves que les hommes. Refuser de l’admettre c’est se voiler la face.

Qu’en pensez-vous ? Comment proposez-vous de résoudre ce problème ? J’attends vos commentaires !

Source: http://causons1peu.com/2014/11/28/femmes-intellectuelles/



28/11/2014
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