Tribune de femme

Tribune de femme

Dans la peau d’une prostituée : Expérience d’une « nouvelle venue » sur le marché du sexe à Bobo-Dioulasso

Juteuse mais dangereuse. La prostitution, le plus vieux métier du monde, s’adapte à l’évolution du temps, dans la forme comme dans le fond. Avec tous les dangers qu’elle comporte.  Drogue, assassinat, enlèvement, viol, vol… Un monde, « pas comme les autres », que nous avons pénétré. Voici l’expérience d’une « nouvelle venue »1 dans le métier.

arton53383.jpg

Samedi 1er septembre 2012. Il est 22 heures, l’heure de réveil d’une partie de la population de Bobo-Dioulasso. La devanture du Service maternel et infantile (SMI) (Rue : Bakoli Barro et Alwata Diawara) se transforme progressivement en marché haut de gamme de sexe. Depuis plus d’une heure déjà, on ne rencontre plus de pagne mais des filles minces, grosses, claires et, pour la plupart, dans des mini-jupes et des « tailles basses ».

A la fumée de la cigarette se mêlent les rires, parfois aux éclats ; des regroupements par-ci, par-là. Quelques clients se sont déjà attachés les services de prostituées. C’est l’instant choisi par une « nouvelle venue » en quête de parrainage2, pour s’initier au plus vieux métier du monde. Le « jean » serré, le « body » à la taille, de longues boucles d’oreilles de prostituée, je me présente au groupe.

A pied ou à moto, les filles sont méfiantes du fait que les intrusions sont légion dans le métier. Avant de m’immiscer dans le groupe de filles, un premier client m’aborde. Avant même de juger le prix, il m’invite à faire un tour au « Bienvenu », une maison close dans un quartier de Bobo. Peu bavard, il me propose 3 000 F CFA comme prix de passe. Ne sachant quoi répondre, je trouve le prétexte de lui demander de payer 10 000F. Sans discuter, le jeune homme démarre en trombe pour s’arrêter quelques mètres plus loin. Avec une autre, le marché est vite conclu et les voilà partis.

Un peu plus loin, une fille crée la panique, en courant dans tous les sens, à la vue d’un motocycliste qui n’était autre que l’une de ses connaissances. Elle voulait donc se cacher. Pourquoi se cacher ? Je pose la question à celle qui est à côté de moi. Elle me fait comprendre que c’est le comportement à adopter quand on croise des personnes qui peuvent vous reconnaître.

Pour me faire mieux accepter, je lui dis que je suis nouvelle. Etudiante, je voulais me prostituer pour payer ma scolarité qui s’élève à 400 000 FCFA. A l’annonce de mon nom d’emprunt, son premier conseil est de me trouver tout de suite un nom. Désormais, je devrais répondre au nom de « Diane ». Elle, c’est Aïcha. C’est elle qui sera d’ailleurs ma marraine. Ce fut le début de nos relations. « Tu sais ma chérie, dit-elle, la prostitution est un métier bizarre. Une fois que tu t’y habitues, tu ne pourras plus t’en défaire. Si réellement tu veux juste avoir ta scolarité, fais-le, et après, il faut laisser », me recommande-t-elle.

Comment réussir à convaincre les clients ?

« Il faudra sortir à partir de 21 heures. L’astuce pour attirer la clientèle est : "Chéri, viens, ce n’est pas cher", ou encore, "chéri, tu es mon goût" ou bien, viens "je vais bien te sucer », confie-t-elle. Avant de poursuivre : « Le marché commence à partir de 3 000 F CFA. Et une fois que vous vous entendez sur le prix, tu l’amènes juste dans la chambre d’à côté (NDLR : une auberge est effectivement située à deux pas). Une fois dans la chambre, tu enlèves juste ton pantalon ou ta jupe. Dès qu’il finit, tu prends tes 3 000 F CFA, tu payes la chambre à 1 000 F et tu gardes les 2 000 F. En tout cas, si tu te mets au sérieux, tu pourras empocher environ 50 000 F CFA chaque nuit. Malheureusement, des élèves et étudiantes ont détruit le marché. Elles s’offrent même au moins offrant. Elles acceptent 1 500 F CFA pour payer la chambre à 1 000 F et garder seulement 500 F. Diane, il ne faut jamais accepter 1 500 F CFA », prévient-elle.

A peine a-t-elle fini de parler que Djénéba, âgée de 17 ans, revient toute souriante après un passage dans un hôtel de la place. « Ma grande sœur, dit-elle à Aïcha, la nuit s’annonce bonne. Mon client m’a donné 20 000 F et c’est lui-même qui a payé la chambre », se réjouit-elle. « S’est-il protégé ? », lui demande ma tutrice. « C’est allé trop vite et il n’a pas pu le faire », répond la jeune fille sans se soucier. Djénéba confie qu’elle a davantage peur de tomber enceinte que d’être infectée par le VIH/Sida.

Lorsque la gendarmerie s’en mêle !

Il est maintenant 23 heures. Soudain, une voix alerte les autres : « Attention, ils arrivent ». J’interroge ma tutrice. « La gendarmerie », répond-elle. Il faut donc se sauver. C’est la débandade. Une première, puis une seconde fois. Une fois le calme revenu, nous continuons notre « leçon ». Mais nous serons interrompues par un client qui m’appelle. J’y vais et on discute encore le prix. Mais ce dernier semble soupçonner que je suis nouvelle dans le milieu. Pour tromper sa vigilance, j’allume une cigarette. « Je sais que tu es nouvelle sur le marché. Ne le cache pas. J’ai l’habitude de venir ici », dit-il tout de suite. On ne s’entendra pas sur le prix. Il me conseille tout de même d’arrêter ce métier une fois que j’aurai obtenu ce que je cherche.

Ma tutrice m’appelle. Elle veut aller sur d’autres terrains (boîte de nuit, maquis). « Qu’est-ce que ce client raconte et qui ne finit pas ? », demande-t-elle. Et de poursuivre : « S’il ne peut pas payer, ne perds pas le temps avec lui ».

Soupirant un instant, elle m’informe que la prudence doit être de mise dans le métier. Il y a des clients qui sont de mauvaise foi, ajoute-t-elle. Dangereux, ils sont prêts à violenter et cela peut aboutir au pire, comme c’est arrivé à deux filles qui ont perdu la vie ces derniers temps. En effet, raconte-t-elle, « La première avait un enfant de deux ans. Un client est parti avec elle, et elle n’est plus jamais revenue ici. Elle est tombée malade et en est décédée », confie-t-elle. La seconde, poursuit-elle, a été tuée au secteur n° 23 de la ville, estimant que c’est pour cela qu’il ne faut pas accepter les  déplacements sur de longues distances.

Avant de me quitter, Aïcha me glisse à l’oreille : « Tu sais, je compte partir à Diébougou. On m’a dit que le marché se fructifie dans cette localité ». Et de prévenir : « Il ne faut pas que les autres le sachent sinon, elles vont nous devancer et saturer le marché. Je suis sûre qu’une fois là-bas, j’achèterai une moto ».

La  pauvreté !

A la question de savoir pourquoi ma tutrice (Aïcha) s’adonne à un tel métier pourtant condamné par la société, elle répond : « C’est la pauvreté, ma chérie. Le père de mon enfant, qui est employé de commerce, s’en fout de l’enfant, encore moins de ma survie. Alors, quand notre enfant a eu 10 mois, je me suis débarrassé de lui pour me consacrer à ce métier de prostituée ».

00 heure ! Ma tutrice me propose d’aller en boîte. « Là-bas, dit-elle, tu peux avoir des étrangers. Et avec eux, tu n’as pas moins de 30 000 F la passe, et mieux, ce serait dans un cadre confortable (NDLR : une chambre d’hôtel) ».

En partance vers le « Black and White », un maquis situé à quelques mètres de la mairie centrale, mieux connu sous le nom de « Black », un monsieur me propose d’aller chez lui à la maison. Contre 4000 F alors que je lui demande 15 000 F. « 15 000 F ou pas de passe », ai-je insisté. Il continue son chemin sans rien dire. Un peu plus loin, un vieux sur son vélo m’accoste : « Viens, on va descendre vers le marigot Houet ». Comme un jeu, je lui propose 20 000 F. « Ha ! ha ! Tu es compliquée ma fille. Laisses à 3 000 F », dit-il en poursuivant son chemin.

A quinze ans, elle est la reine des lieux

Vers 00 h 20 minutes, l’ambiance est féerique au « Black ». Là, le marché est encore plus florissant. Dans cette foule de prostituées, une fille se distingue. Très jeune et très belle, une taille de mannequin, Claire, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, a seulement 15 ans. Le genre de fille qui en fait rêver plus d’un. En deçà de 4 000 F CFA pas de passe possible avec cette merveille. Au milieu des fêtards, elle danse sans gène.

Claire confie qu’elle se prostitue depuis 2 ans, c’est-à-dire depuis l’âge de 13 ans. Pour mieux comprendre son histoire, je propose de lui acheter une bière. Elle accepte. « Je suis nouvelle et je voudrais rentrer dans le métier », lui ai-je expliqué avant de solliciter ses conseils. « Ma grande sœur, il ne faut pas accepter en dessous de 6 000 F CFA. Aussi, il ne faut jamais aller avec un client à la maison. Si vous vous entendez sur le prix, il cherchera un hôtel », dit-elle. Comment supporter le passage de cinq à six hommes la nuit ? Pour le faire, Claire me propose de prendre la drogue pour supporter certaines situations.

Sur le champ, elle m’indique un jeune qui en vend. « Mais, prévient-elle, quand tu en auras besoin, je me chargerai de t’en trouver sans souci ». « Ma grande sœur », « ma jumelle », « ma petite sœur » sont entre autres, noms codés ou mots de passe pour se reconnaître dans le milieu. Je devenais ainsi une « grande sœur » pour Claire qui confie qu’elle a plusieurs fois été victime de viols collectifs. Jamais elle n’a eu le courage de porter plainte auprès de l’autorité compétente.

En même temps, elle me trouve un client originaire du Nord-Mali alors qu’il est 1 heure du matin. Avec ce dernier, je dois aller contre 7 500 F CFA. Pour une nouvelle venue, j’ai peur d’aller avec ce client. « Ma petite  sœur » me rassure : « Il ne va rien te faire. J’ai l’habitude de partir avec lui et plusieurs autres de ses amis ». Une offre que je décline naturellement au grand regret de « ma petite sœur ».

A la question de savoir pourquoi elle s’adonne à cette activité, elle a du mal à répondre. « Je suis habituée à ça. Je ne peux plus arrêter », dit-elle, évasive. Et un de ses amis garçons d’ajouter : « Je ne sais pas pourquoi Claire se prostitue. Ensuite, on ne sait pas ce qu’elle fait avec son argent car, elle se promène chaque fois pour demander des sous ».

Quelques minutes plus tard, une autre « petite sœur », élève en classe de quatrième, s’apprête à partir avec un client. « C’est un gros marché », dit-elle, en ajoutant : « Ma grande sœur, il ne faut surtout pas rentrer à la maison. Les vrais clients viennent autour de 2 heures du matin. Et puis ils payent bien ».

Après 30 minutes de discussions sur les péripéties de « notre métier », un client habituel de Claire vient l’amener. Pour moi, un autre client est prêt à miser au-delà de 7 500 F CFA. Je viens de me rendre compte que je suis prise à mon propre piège. Comment faire alors pour décliner l’offre de « mon client » ? Un mensonge de mal de ventre est vite avancé pour regagner la maison.

« Vous avez l’air de quelqu’un de sérieux », me fait remarquer le parqueur des lieux qui a suivi la scène. Il ajoutera d’ailleurs, « Vu ton élégance et ta beauté, moi je pourrai te trouver des clients qui payeront très bien. Il ne faudra pas m’oublier seulement ». Il enregistre ainsi mon numéro de téléphone (un faux numéro que je lui ai donné) pour espérer se faire des sous. Pour me rassurer, le parqueur-proxénète me dit que plusieurs autres filles lui ont fait confiance et ont fait de très bonnes affaires. Ainsi prend fin mon « aventure ». Il était 3 heures du matin.

Bassératou KINDO


Encadré

Les hommes non-circoncis et le risque du Sida

Me voilà encore un soir, sur le marché du sexe. Une de « mes jumelles »3 et mère de deux enfants arrive. « C’est qui celle-là ? Ah c’est Diane. J’ai eu peur. Tu es habillée comme une gendarme », dit-elle. Elle observe un long silence, la peur m’envahit, mais tout sera rapidement rompu par des éclats de rires.

« As-tu déjà couché avec un homme non-circoncis ? », demande une fille à une autre. Elle répond par l’affirmative et confie qu’elle a un client d’une nationalité étrangère qui n’a pas le sexe « coupé ». « C’est moi qui mets le préservatif et c’est encore moi qui l’enlève. Parce qu’avec ce genre de personne, il faut faire beaucoup attention », confie-t-elle à la première fille qui soutient en avoir rencontré un dans une de ses aventures et qui n’a voulu le satisfaire. « Quand j’ai constaté qu’il était ainsi, je n’ai pas accepté », a-t-elle déclaré.

Quoi qu’il en soit, les deux filles estiment qu’il n’est souvent pas aisé de faire l’amour avec des gens non-circoncis, les risques de contamination étant élevés parce qu’elles estiment que le sexe retient difficilement le préservatif.

« Je vais donner à téter à mon fils »

Très belle et teint noir ciré, Justine (c’est un nom d’emprunt), 24 ans  est mère d’un enfant de 4 mois. Malgré qu’elle soit sortie assez tôt ce samedi (20 octobre 2012), aucun client n’a marchandé avec elle. Pourtant, à partir de 22 heures, elle doit repartir à la maison pour donner à téter à son bébé. Elle est amie à Korotimi âgée, elle, de 26 ans, une autre fille de joie qui fait de la restauration dans la journée.

Korotimi devait donc attendre sa « petite sœur » pour aller dans d’autres endroits où les affaires marchent. « Pauvreté ! C’est la seule raison qui justifie ce métier pour nous », ont-elles soutenu, l’air assez triste pour Korotimi qui avoue en plus que sa patronne du restaurant l’exploite.

Et l’Action sociale dans tout cela ?

La direction de l’Action sociale et de la Solidarité nationale du Houet est souvent interpellée, mais indirectement, pour des questions liées aux violences sexuelles sur des filles qui se prostituent. « Elles sont, explique le directeur provincial, Soumaila Sakho, victimes de toutes sortes d’abus et de tortures sexuelles ».

Celles qui se présentent aux services de l’Action sociale ne disent pas exactement ce qu’elles font comme travail. Devant l’agent de l’Action sociale, elles prétendent qu’elles sont exploitées par leur patron (les proxénètes) ou encore que des hommes assez âgés ont abusé d’elles. Mais dans quelles conditions ?

Au titre des aides, Soumaila Sakho évoque la politique et les programmes de son ministère pour la promotion des droits des enfants et des adolescents. « Nous avons un programme dénommé "Action éducative en milieu ouvert". Nous travaillons de manière générale sur des actions éducatives destinées aux enfants et adolescents afin de les amener à quitter les milieux inappropriés que sont les rues, vers les milieux plus sains tels que les familles, les centres de formation et d’intégration professionnelle. Nous n’avons pas un programme destiné spécialement aux prostituées », explique le directeur provincial. Le pire est, a-t-il renchéri, « qu’on ne peut aider celui qui ne veut pas. Puisqu’il y a des filles qui abandonnent la famille, l’école, le travail, pour se retrouver dans la rue. Et quand elles y prennent goût, il est difficile de les faire retourner en famille ».

La gendarmerie manque de moyens pour opérer efficacement

Alors que la prostitution est condamnée par l’article 423 du Code pénal  par un emprisonnement de 15 jours à 2 mois et d’une amende de 50 000 à 100 000 F CFA, les filles, lorsqu’elles sont mises aux arrêts, sont quelques fois justes verbalisées. Celles qu’on arrive à interpeller payent des contraventions ou restent jusqu’au matin à 10 heures, ou font des corvées en contrepartie de la contravention. « Malheureusement, ce sont les mêmes qu’on retrouve sur le terrain. Elles ne sont jamais gardées plus de 72 heures. Pour une opération, on peut prendre 10 à 15 personnes », soutient l’adjudant-chef, Yacouba Sanou, chef de cellule stupéfiant et mœurs/Section de recherche de la gendarmerie de Bobo.

Pour lui, « il est d’ailleurs difficile de les arrêter du fait qu’elles sont de nos jours motorisées ». Dès qu’elles aperçoivent les forces de l’ordre et de sécurité, elles disparaissent rapidement, si l’on en croit l’adjudant-chef Richard Tiendrebéogo, commandant la section recherche de la 2è région de gendarmerie de Bobo.

Bassératou KINDO

1 : « Nouvelle venue » : Nous avons juste voulu intégrer le milieu pour voir ce qui s’y passe.

2 : Les filles cherchent souvent des « parrains »/ « marraines » (proxénètes) pour leur intégration dans le milieu.

3 : « Ma sœur ; ma jumelle » : ce sont des codes par lesquelles elles se reconnaissent



02/04/2014
3 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 309 autres membres