Tribune de femme

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Abandon de nouveau-nés à Bobo-Dioulasso : Motivations et manifestations d’un phénomène

Bobo-Dioulasso est malheureusement en passe de devenir la capitale des enfants abandonnés. Il ne se passe plus de mois sans que les services de l’Action sociale ne soient alertés pour sauver des bébés retrouvés dans un caniveau, une fosse sceptique, un tas d’immondices, ou, au pire des cas, dans un WC. Les statistiques officielles parlent en moyenne de 1 à 2 cas d’abandon de nourrissons par mois. Entre janvier 2011 et février 2012, ce sont 27 bébés qui ont été délaissés par leurs génitrices et récupérés par les services de l’Action sociale. Le mal est donc très profond et il traduit un dysfonctionnement de l’appareil social conduisant du même coup à la barre des tribunaux, des centaines de jeunes filles, auteurs de ces actes inhumains. Mais à y voir de près, ces dernières ont quelques fois des explications à leur forfait. Que faire ? Notre enquête au cœur d’un phénomène à la dent dure…

 

Ils ont noué leur tout premier contact en fin 2010, à l’occasion d’une soirée festive à Bobo-Dioulasso. Kadidiatou, 25 ans et Bruno, 32 ans, vont par la suite vivre un amour légendaire. Mais cette histoire d’amour, telle que nous l’a racontée Kadidiatou, finira par lui coûter un séjour àla Maison d’arrêt et de correction de Bobo-Dioulasso …

Les faits remontent à janvier2011. Ala demande de Bruno, Kadidiatou  quitte le domicile de sa tante avec qui elle vivait, pour aménager dans une maisonnette que lui a trouvée son amant, au secteur n° 17 dans le quartier non-loti de Sarfalao. Ils y ont partagé de longs moments de vie à deux. Bruno avait alors promis le mariage à Kadidiatou qui y croyait fermement. Quelques mois après leur rencontre, Kadidiatou tombe enceinte. Elle en informe Bruno qui était déjà à Ouagadougou. Pour toute réponse, ce dernier change de numéro de téléphone.

Définitivement !

Au bout d’un mois de grossesse,  Kadidiatou tombe sur un nouvel homme du nom de Moussa.  Mais par peur de le perdre, elle lui cache sa grossesse. Pire, celui-ci est marié et n’est donc pas prêt à s’engager pour une deuxième union. Mais il aime sa nouvelle copine et se propose en conséquence de passer quelques fois la nuit avec Kadidiatou, dans la maisonnette qu’elle habitait toute seule. En contrepartie, Moussa s’est engagé à honorer le loyer. Kadi, comme on l’appelle affectueusement, commence alors une nouvelle vie avec son nouvel homme. Moussa ne sera finalement informé de la grossesse de sa nouvelle conquête qu’à la suite de l’incarcération de cette dernière pour délaissement d’enfant et tentative d’infanticide.

« Il était gentil, contrairement au précédent qui a abusé de moi pour après me jeter comme une vieille chemise. Tout le temps que nous avons passé ensemble, il n’a jamais su que j’étais enceinte. Je portais des vêtements très serrés pour empêcher le ventre de grossir », nous a confié Kadi, le regard plongé dans le vide. Et comme par hasard, le jour où Kadidiatou entrait en travail, Moussa était venu pour passer la nuit avec elle ne sachant toujours pas qu’elle était enceinte. « Il est resté avec moi jusqu'à deux heures du matin et insistait pour me conduire à l’hôpital puisque je me plaignais de douleurs atroces au ventre. J’ai réussi à le convaincre de retourner chez lui, en famille. Quelques dizaines de minutes après son départ, j’ai alors accouché toute seule dans la maison aux environs de trois heures du matin » nous a avoué Kadidiatou. La mine tintée de remords, elle ajoute que pendant 30 minutes environ, le bébé est resté inerte, lui faisant pensé qu’il était mort, en raison de toutes les tortures qu’il a subies durant la grossesse. « Je l’ai alors enveloppé dans un plastique et l’a mis dans la fosse sceptique du voisin », a-t-elle lâché, la voix tremblotante. Elle poursuivit que ce sont les cris du nouveau-né qui, en réalité, n’était pas mort, ont alerté un vieillard entré dans les toilettes au petit matin.

Arrêtée après l’enquête, elle a passé quelques jours en prison. De sa cellule, elle avait des hallucinations et disait être constamment poursuivie par des génies qu’elle seule voyait. Elle a donc été remise en liberté pour des raisons de santé.

 

De la fuite de responsabilité des hommes

Pour cet acte Kadidiatou s’explique et même se défend. « J’ai voulu me débarrasser de l’enfant pour garder mon nouvel homme, mais au-delà, je ne savais que faire avec un enfant sans père. Plusieurs interrogations me taraudaient l’esprit. Seule avec un enfant ! Qu’allais-je devenir ? Pour moi, la seule solution, c’était de m’en débarrasser. Et c’est ce que j’ai vite fait lorsque j’ai constaté que l’enfant était inerte à sa naissance. Je regrette aujourd’hui mais il le fallait parce que je suis maladive. Qui allait ainsi nous prendre en charge tous les deux ? », s’est-elle interrogée.  

Comme elle, elles se comptent par dizaines, voire par centaines, les filles qui se sont débarrassées de leur bébé pour des raisons liées à la fuite de responsabilité du co-géniteur. La jeune fille-mère se trouvant seule à supporter une grossesse, vit dans la peur de devoir affronter toute seule la prise en charge quotidienne d’un enfant dont le père a démissionné, ou, au pire des cas, est porté disparu. Dans l’immédiat, elle ne pense même pas aux conséquences éventuelles de son acte. De plus, certaines d’entre elles sont mues par le souci de reconquérir une liberté perdue avec la naissance du bébé. Dans la plupart des cas, ces filles-mères abandonnées par le co-géniteur vivent dans une atmosphère familiale dégradée qui peut même aboutir à leur rejet pur et simple de la concession familiale.

A Bobo-Dioulasso, le phénomène d’abandon d’enfants évolue crescendo si l’on se fie aux statistiques fournies par Justin Lenivo Sanou, chef du service de la protection de l’enfant et de l’adolescent de la direction provinciale de l’Action sociale et de la Solidariténationale du Houet. Il présente une évolution du phénomène en dent de scie, selon les trimestres. « Les cas les plus fréquents concernent les nouveau-nés abandonnés », précise le fonctionnaire de l’Action sociale qui indique aussi que son service a quelques fois eu affaire à des enfants de 2 à 3 ans abandonnés en cours de croissance par des mères généralement déficientes mentales. A cela, il faut ajouter les cas d’enfants de tous âges abandonnés, parce qu’étant nés de relations incestueuses, et les cas d’enfants expressément conduits auprès des services de l’Action sociale par leurs mères qui s’avouent incapables de garantir le minimum vital à leur nourrisson.  Mais dans bien des cas, ajoute M. Sanou, les enquêtes montrent par la suite qu’il s’agit surtout de filles qui ignorent ou qui n’ont aucune nouvelle des géniteurs de leurs enfants.

 

Surpopulation dans les orphelinats

Les enfants retrouvés dans les rues sont systématiquement placés dans des orphelinats, ou autres centres d’accueil. Ils y bénéficient de meilleures conditions pour leur croissance. De là, ils sont destinés à des familles d’accueil par le biais du système d’adoption national ou international. Suite à une décision prise en plénière à la justice et en présence des responsables de l’Action sociale, l’enfant adopté devient fils ou fille légitime de la famille d’adoption et plus personne d’autre ne peut revendiquer sa paternité.

Dans la ville de Sya, on compte 12 orphelinats. A Den kanu (situé au secteur n° 25 de Bobo-Dioulasso) par exemple, les enfants qui y séjournaient à notre passage, à la date du 11 avril 2012, étaient au nombre de 48, dont 16 enfants abandonnés. « Je ne saurais donner un chiffre précis sur le nombre total d’enfants retrouvés et accueillis dans le centre, mais nous en recevons en permanence », déclare la responsable du Centre, Sœur Agathe Diarra. Ces enfants sont d’abord reçus par l’Action sociale avant d’être placés dans les centres d’accueil. Là-bas, ils sont confiés à des « mamans » qui prennent soins d’eux jusqu’à l’âge de deux ans. Il en est de même à l’orphelinat « le Nid » qui a à sa charge 28 nourrissons dont 11 enfants abandonnés. Au village SOS Dafra (situé à Sarfalao), les enfants acquièrent directement une famille. Ils peuvent y rester jusqu'à l’âge de 28 ans (pour ceux qui suivent de longues études).  Les structures d’accueil qui sont dans l’humanitaire ne sont pourtant pas dotées de moyens financiers conséquents. Elles se contentent d’une subvention venant de l’Etat. Fort heureusement, des personnes de bonne volonté ne manquent pas pour accompagner ces structures à travers des dons, des legs, ou des parrainages…

 

Ce que dit la loi

Chez le procureur du Faso, près le Tribunal grande instance de Bobo-Dioulasso, 18 dossiers portant sur des cas d’abandon d’enfants ont été répertoriés dans l’intervalle du 1er janvier 2010 au 31 janvier 2012. « En matière juridique, il faut comprendre que l’abandon d’enfants est classifié en 2 catégories : le délaissement d’enfants ou l’exposition d’enfants et l’infanticide», explique Prosper Zerbo, substitut du Procureur du Faso près le Tribunal de grande instance (TGI) de Bobo-Dioulasso. Selon l’article 391 du code pénal, a-t-il précisé, le délaissement d’enfants correspond à son abandon ou son exposition dans un lieu sans aucune protection par une personne (mère, père, oncle, tante…) qui en a la garde. Pour les cas portés jusque-là devant les juges, confie Prosper Zerbo, les raisons évoquées par les prévenues n’ont rien de très original.  « Elles sont très souvent des filles célibataires. Le refus de paternité est généralement la raison qu’elles avancent », a-t-il dit. Pourtant, a rappelé, le substitut du procureur, l’abandon d’enfants est catégorisé comme délit pour une peine allant de 1 à 3 ans de prison. Le Code pénal prévoit aussi, a ajouté le magistrat, des sanctions allant de 1 à 3 ans de prison ferme et le paiement d’une amende de 500 000 à 1 000 000 de F CFA, contre les complices, en cas de poursuite judiciaire, suite à un cas d’abandon d’enfants. En outre, et comme le stipule l’article 391 du Code pénal, les peines peuvent aller de 5 à 10 ans lorsque la nature de l’infraction change et devient criminelle. Si le délaissement de l’enfant entraîne sa mort, la peine ira de 10 à 20 ans de prison, voire, à un emprisonnement à vie. C’est donc dire à quel point l’acte d’abandon d’enfants est réprimé.

 

Comment réduire le phénomène ?

Il faut impérativement une bonne sensibilisation sur la sexualité des filles. C’est du moins la conviction de Justin Lenivo Sanou qui préconise aussi l’application systématique des sanctions, dans toute leur rigueur, à l’encontre des auteurs et complices d’actes d’abandon d’enfants. La fille, dit-il, doit toujours être consciente de sa vulnérabilité quand il s’agit de sortir avec un homme.

Bintou, mère de cinq fille pointe un doigt accusateur sur les parents dont la responsabilité, selon elle, est, on ne peut plus évidente : « J’avoue que je parle rarement de sexualité avec mes filles. La dernière a récemment eu recours à un avortement clandestin et les conséquences n’ont pas été minces », confie-t-elle. Pour Sy Sibleflan Traoré, directeur de « SOS village Dafra », une des solutions pour réduire le phénomène serait le renforcement du niveau de responsabilisation de la famille. Il trouve par ailleurs qu’il est nécessaire de travailler à améliorer le taux d’utilisation des méthodes contraceptives disponibles. 

Bassératou KINDO

 

 

Encadré 1

A côté de l’abandon des enfants, l’avortement

Plutôt que de laisser évoluer la grossesse jusqu’à son terme pour ensuite en jeter le fruit dans un WC ou un tas d’immondice, certaines filles s’adonnent à l’avortement devenu un fléau au Burkina Faso. Elles le font de manière clandestine sans penser aux conséquences qui peuvent être désastreuses. A l’hôpital Souro Sanou, près de 400 jeunes filles sont admises chaque année, suite à des complications liées à l’avortement clandestin, explique Fatima Diakité, une des sages-femmes du centre de soin, qui précise que ces chiffres sont loin de refléter l’ampleur réel du phénomène étant entendu qu’il y a des centaines d’autres cas  enregistrés dans les autres formations sanitaires ou qui échappent aux dispositifs de santé.

En fin 2011, une mère a ordonné à sa fille de jeter dans les WC de l’hôpital Sanou Souro, le nouveau-né qu’elle venait d’avoir. Ces cas, confie la sage- femme sont légion. Et les fautives avancent toujours les mêmes justificatifs : pauvreté, refus de paternité, pesanteurs socioculturelles (déshonneur de la famille …)

Selon les résultats d’une étude menée en 2006 par le professeur Moussa Bambara, deux filles sur trois qui tombent enceinte dans la ville de Bobo-Dioulasso, optent pour l’avortement. Pour cela, elles prennent des produits très dangereux qui leur provoquent des insuffisances rénales. Celles qui passent par ce chemin sont, indique-t-il, le plus souvent illettrées. « Les plus instruites connaissent certaines méthodes qui empêchent l’ovulation », souligne le professeur qui relance le débat sur la légalisation de l’avortement au Burkina Faso.

Bassératou KINDO

Encadré 2 :

Témoignage d’Angèle une fille-mère de 31 ans vivant à Houndé

 « Je pensais que toute la période de ma grossesse était le pire moment de mon existence. Mais je m’étais trompée. Le pire était à venir. Au début, j’ai voulu avorter parce que j’étais dans une classe d’examen. Après réflexion, je suis revenue à la raison. J’ai été répudiée de la maison et je suis allée rester chez ma tante. A la suite de l’accouchement, je suis rentrée en famille. Et c’est alors que les problèmes vont commencer. Les mésententes avec ma mère et mes frères se sont accentuées. Il arrivait que l’on exige à ce que je paie l’eau que j’utilisais pour ma toilette et celle de mon enfant. Un jour, alors que mon bébé avait 4 mois, ma mère m’a demandé d’aller le remettre à son père, ou de le jeter au cas contraire. Ce jour-là, je suis sortie et j’ai pris la direction de la brousse. En chemin, j’ai pensé à la douleur de la maternité et surtout à l’enfant que j’aimais beaucoup. Malgré tout, j’étais habitée par l’envie de m’en débarrasser pour mettre fin à ma souffrance. Heureusement je me suis résolue à ne pas me séparer de mon enfant, à le garder et à me battre toute seule pour m’en sortir. Mon enfant a aujourd’hui 10 ans et il est en classe de CM1. Il vit avec moi et je l’aime bien ».

 Bassératou KINDO

 



01/05/2012
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